top of page

Une après-midi avec Juliette Delecour, co-fondatrice d'Atelier Ati

Dernière mise à jour : 29 juil. 2022

ArtMéssiamé 2021, une seconde édition qui s'annonce prometteuse


© Atelier Ati, 2021

Artiste plasticienne, diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, Juliette Delecour intègre en 2020 l’association du collectif d’artistes RPZ et co-fonde en parallèle le collectif Jumel. C’est aux côtés de Ferdinand Makouvia qu’elle fonde l’association Atelier Ati puis la première résidence ArtMéssiamé en 2020. A l'aube de la deuxième édition qui commence le 8 novembre prochain, nous l'avons rencontrée.



© Atelier Ati, 2021

WYL: Bonjour Juliette ! Merci de nous donner de ton temps pour nous parler de la résidence ArtMéssiamé 2021, nous sommes ravies de te rencontrer ! Tout d’abord, nous aimerions savoir comment ce projet est né et pourquoi avoir choisi le Togo.

JD: Bonjour, c’est avec plaisir ! Le projet est né aux Beaux-Arts de Paris avec Ferdinand Makouvia, lorsque l’on était tous deux étudiants. Nos premiers échanges ont eu lieu à l’atelier bois des Beaux-Arts. C’est dans ce cadre que Ferdinand m’a partagé une idée qui m’a rapidement convaincue : un projet d'apprentissage mutuel. Nous avons décidé de créer l’association Atelier Ati, “ati” qui veut dire “bois” en mina (langue nigéro-congolaise véhiculaire de Lomé, ndlr), dont l’objectif est d’organiser des rencontres entre artistes afin de partager des savoirs. C’est ainsi que nous avons développé notre projet de résidence artistique. Par ailleurs, cette dernière s’accompagne également d’un atelier d’écriture et de critique d’art, proposé aux étudiants de l’université de Lomé par l’historienne de l’art Zoé Monti.

Le choix du lieu de résidence s’est fait naturellement. Ferdinand étant togolais, il souhaitait participer au développement artistique de son pays. Il a repris les apprentissages de l’artiste Paul Ayhi, qui avait lui-même eu une démarche d’accompagnement et d’échange avec les artistes togolais. En effet, être artiste dans ce pays n’est pas envisagé dans tous les milieux comme un véritable métier. C’est notamment ce qui nous a amenés à intervenir dans les écoles. On a voulu ouvrir la discussion et montrer qu’être artiste, c’est un travail approfondi.



© Atelier Ati, 2020

WYL: En parlant d’artistes, comment les recrutez-vous pour la résidence ?

JD: Pour des questions pratiques, nous avons fonctionné par réseaux lors de ces deux premières éditions. Nous avons collaboré avec des personnes que nous connaissons déjà, dont les dossiers nous sont parvenus des mains de collègues, de professeurs dans les écoles d’art ou encore d’amis. L’idée de la résidence étant de mettre en place une vie commune, nous avons voulu travailler avec des artistes dont nous apprécions le travail, l’énergie et la démarche. Cependant, nous réfléchissons à des appels à candidatures pour les prochaines éditions.

Par rapport à la sélection des artistes, nous recevons des dossiers assez diversifiés. Nous avons choisi de sélectionner des artistes de tout âge, afin de motiver les artistes émergents qui ont parfois du mal à s’intégrer dans un monde de l’art compétitif et promouvoir un dialogue intergénérationnel.



© Atelier Ati, 2020

WYL: Une fois les artistes trouvés, l’idée de formation et d’accompagnement de ces derniers apparaît au centre de la résidence. Le manque de structures semble rendre difficile le développement de la scène artistique au Togo, est-ce pour cela que vous avez choisi de mettre ce concept de formation au centre de la résidence ?

JD: Nous avons souhaité ne pas utiliser le mot formation pour parler de la résidence. Nous n’avons pas envie d’arriver avec une vision occidentale et de l'imposer. Je parlerais plutôt d’apprentissage. Nous considérons la résidence comme une école où tout le monde vient pour apprendre de l’autre. Par exemple, l’année dernière j’ai travaillé avec des artistes dont les techniques sont impossibles à reproduire en France. Cela a modifié ma façon de concevoir l’art et la création artistique.



© Atelier Ati, 2021

WYL: Lors de cette résidence portée sur l’apprentissage donc, les artistes vont participer à des interventions dans des écoles primaires. Peux-tu nous expliquer quel est le but, l’objectif recherché ?

JD: Comme mentionné tout à l’heure, le métier d’artiste n’est pas tellement envisagé comme un métier au Togo. L’année dernière nous nous sommes rendus dans une école primaire où l’on s’est présentés en tant qu’artistes. Nous avons expliqué en quoi consistait notre travail puis nous avons organisé une après-midi de dessin. Les enfants devaient dessiner ce qui les rendait heureux. Les idées étaient très diverses : avoir une voiture, aller à l’église, être avec leurs familles. A la fin de l’atelier, à la question “Qui veut devenir artiste?”, tous les enfants ont répondu en levant la main! En effet, ce ne sont pas des principes qui sont enseignés ou envisagés dans les écoles. Le but est ainsi de démocratiser les métiers de l’art dans un pays où ce monde rencontre encore des difficultés. Ce fut une journée très émouvante.



© Elites d'Afrique, 2020

WYL: Tu nous as parlé tout à l’heure de Zoé Monti, qui s’occupe du workshop de l'atelier d’écriture de la résidence, à qui est-il destiné ? C’est pour les artistes résidents ?

JD: Non, ce sont des étudiants en école de journalisme et communication de l’université de Lomé et de grandes écoles, comme l'ESIG par exemple. On les accueille au sein du musée Paul Ahyi, maître de l’art togolais. De son vivant, ce dernier accueillait lui-même de jeunes artistes dans son atelier. C’est aussi lui qui a créé avec sa femme Charlotte Ahyi, le musée. Être accueillis dans son enceinte pour faire la résidence représente ainsi un lien symbolique. Son espace nous permet de continuer à faire ce qu’il avait envie de faire, c’est-à-dire montrer aux artistes qu’il est possible de créer ensemble, d’échanger des savoirs. L’année dernière, il y a notamment eu des discussions très intéressantes sur les différences de métiers qu’il pouvait y avoir entre l’Europe et l’Afrique, appliquées au monde de l’art. Ces échanges nous ont permis de nous rendre compte que le vocabulaire que l’on utilisait était différent. Par exemple, nous utilisons beaucoup le mot “installation” tandis qu’ils parleront plus facilement de “sculpture”. L’enrichissement a donc été réciproque, chacun de nous a beaucoup appris sur et par l’autre.



© Atelier Ati, 2021

WYL: Lors de ces activités, les portes sont toujours ouvertes. Y avait-il des gens qui rentraient et qui échangeaient avec vous lors de la première édition ?

JD: Oui, de nombreuses personnes sont venues nous rendre visite mais elles appartenaient déjà au milieu artistique. Il s’agissait de critiques, journalistes, professeurs, artistes. Les échanges ont été très enrichissants, mais cette année, le but est d’inciter des habitants du quartier à venir à nos côtés. Nous allons tenter d’exporter le musée dehors. Nous allons nous rendre dans la rue, au marché, sur la plage, faire des performances en dehors du musée. Il nous importe vraiment d’être au plus près des Togolais et pas seulement des gens qui connaissent déjà le milieu artistique.





© Galerie Sator, 2021

WYL: Pour exposer ces œuvres qui sont visibles par le public lors de leur création, vous effectuez deux expositions à la fin de la résidence, l’une à Lomé et l’autre à Paris ?

JD: Tout à fait, mais à Lomé on utilise l’expression “compte rendu” de la résidence, afin de mettre en lumière l’aspect collaboratif du projet. Aucun artiste ne travaille seul sur son projet, chacun peut intervenir sur le travail d’un autre. Le temps de résidence étant limité et le programme chargé, le but recherché n’est donc pas de créer des œuvres finies, mais surtout que ces dernières soient enrichies par l’intervention des autres.

Nous avons clôturé notre première édition avec une performance, notion qui n’était pas nécessairement connue de tous les acteurs, et qui a suscité beaucoup de discussions avec les étudiants de l'atelier d'écriture notamment. Certains questionnaient le but d’une performance, dont l’aspect éphémère et difficilement commercialisable rendait difficile sa mise en valeur. Cette problématique a donné lieu à des débats passionnants.

Pour l'anecdote, je vous raconte la performance de l’année dernière. Un artiste a commencé à chanter en mina tandis que les autres sont allés récupérer les œuvres créées durant la résidence. Ces dernières ont ensuite été brûlées pendant que tous les artistes chantaient. Le but de cette performance était de recréer une dernière fois tous ensemble, pour que chacun fasse un dernier geste et que le feu, comme le phoenix, fasse renaître une nouvelle œuvre de ses cendres. Cependant, les réactions du public ont été très mitigées, certains n’ont pas apprécié la démarche. Cela a donné lieu à une nouvelle discussion, dans laquelle nous avons expliqué que pour nous, ce n’était pas une destruction mais une nouvelle création collective.

Enfin, à propos de l’exposition à Paris, cette dernière a eu lieu en juillet à la galerie Sator. Chaque artiste nous a envoyé une œuvre finie. Voir le décalage entre les créations faites pendant la résidence et ce que les artistes produisent à côté était très intéressant.



© Atelier Ati, 2021

WYL: Enfin, est-ce que ArtMéssiamé va devenir une résidence annuelle ? Quels sont vos objectifs pour le futur ?

JD: La résidence va rester annuelle pour le moment, afin d’assurer son installation dans le système artistique togolais et international. Nous allons très probablement en faire une nouvelle l’année prochaine. Étant donné que nous souhaiterions rencontrer un maximum d’acteurs du continent africain et du continent européen, les prochaines résidences n’auront pas forcément lieu au Togo. Nous aimerions également développer des partenariats avec des fondations qui partagent notre fonctionnement, nos envies, afin de faire grandir le projet dans la bonne direction. C’est notamment le cas de la Fondation H qui nous soutient cette année, et qui sera à nos côtés une semaine au Togo.

Comme vous pouvez le voir, nous avons de nombreuses idées, nous réfléchissons toujours à la direction de notre projet sur le long terme. Pour le moment, nous restons motivés et attendons avec impatience cette deuxième édition !


WYL: Merci beaucoup pour cet échange Juliette !



184 vues0 commentaire
bottom of page