top of page

Tumultes

Dernière mise à jour : 29 juil. 2022

Panser/penser le chantier


Jusqu’au 17 octobre la galerie AEDAEN à Strasbourg accueillait l’exposition « Maison de Force » organisée par le collectif Eaux-Fortes. Exposition engagée, « Maison de Force » tentait de donner, à travers le travail de 26 artistes internationaux, une place nouvelle au sensible dans la construction des imaginaire et des sociétés. Cléophée Moser, membre du collectif et artiste vidéaste, présentait pour la première fois l’installation Tumultes au sein de l’exposition.




Le visiteur découvrait l’installation au détour d’un couloir.


Tas de ciment et de sable sec sur lequel s’échoue une baignoire, Tumultes est aussi un rituel de passage où intérieur et extérieur, tant physique que psychique, se rencontrent questionnant la notion même de chantier. Cette baignoire violette est le seul point d’accroche coloré dans un environnement gris béton.



Dedans, ce n’est pas de l’eau qui coule mais des images. Elles racontent une histoire, une histoire de femme, une histoire de violence, une histoire de réparation. Les images coulent comme autant de larmes symboliques et purificatrices. À la fois installation vidéo narrative et dispositif scénographique, Tumultes montre ce qui se passe dans l’espace et dans le corps.


L’oeuvre tisse une relation étroite entre les éléments du décor et les éléments projetés dedans. Ce lien, c’est celui de la violence, la violence symbolique que l’architecture brutaliste exerce sur les corps, écho à la violence sociale qu’elle renferme. La photographie de chantier en toile de fond de l’installation évoque cette dynamique de domination et rend compte de cette esthétique brutaliste de la structure et du matériau brut. Elle a été prise dans les quartiers nord de Pantin par Cléophée Moser elle-même, aux milieux des chantiers de futurs logements sociaux pensés comme des boîtes de béton. En choisissant d’imprimer sa photographie grandeur nature sur du cuir, l’artiste rejette cette image lisse du béton et décide de jouer au contraire sur le contraste d’un matériau vivant comme le cuir et d’une matière sédimentaire comme le béton. Le grain du cuir fait écho aux gravats qui jonchent le sol. La cadre est posé. Tumultes interroge la relation du corps à son environnement.


Il ne s’agit pas uniquement de l’environnement physique mais aussi de l’entourage, de l’environnement intérieur, des angoisses qui nous habitent tous. La vidéo projetée dans la baignoire est un rituel de purification dans lequel Cléophée Moser invite à plonger. On entend la voie de l’artiste, on la voit de dos penchée sur une baignoire. Dans cette autre baignoire projetée un corps, une poupée gonflable que l’artiste a enveloppé d’images de sa propre peau. Proche de l’embaumement, le cérémoniale qui se déroule montre une succession de soins pour laver et recouvrir la poupée. À travers ce rituel, Cléophée Moser réintroduit du sensible dans la froide raison constructiviste.

Cette liturgie réparatrice est aussi un rite de transposition, une double projection : image d’une baignoire projetée dans la baignoire et celle du corps de l’artiste dans celui de la poupée. Ce dédoublement du corps permet d’introduire dans l’oeuvre une distance cathartique. Le rituel de transposition n’est pas sans évoquer les poupées vaudous : ce que la poupée subit, le corps le vit. D’ailleurs dans l’argot français, par analogie, une poupée est un pansement.


Élément central de l’installation, la baignoire est à la fois un radeau échoué dans un environnement extérieur brutal et un espace de soin rappelant la salle de bain, la maison, l’intérieur. La baignoire de la vidéo n’est pas anodine non plus. Il s’agit de celle qui se trouve chez la mère de l’artiste. Cléophée Moser parle d’ailleurs de « Baby Doll » au sujet de la poupée. Ce rituel de soin et de lavement lui permet d’exorciser son histoire personnelle et familiale et d’affirmer la nécessité de laisser une place à l’expression de la vulnérabilité.



Cléophée Moser « Tumultes », 2020. Installation vidéo et mix-média. Une baignoire échouée dans une digue de béton dans un paysage sec, mais dans lequel on sent les liquides battre dans des veines de tuyaux PVC et dans des chansons populaires lancées à corps sous la douche. Se pencher au fond de la baignoire c’est plonger dans un rituel de purification. L’artiste soigne les plaies et les maux du cadavre d’une poupée gonflable, qu’elle prépare en silence, pieusement avec toutes les douceurs requises, retirant un à un, les organes affectifs et les symboles chargés du corps de la baby doll pour la renouveler dans sa vie d’après.






33 vues0 commentaire
bottom of page